Une route australe

Maxime Chili 7 Commentaires

Enfin me voilà sur cette fameuse route célèbre dans le monde des cyclo-voyageurs, la Carretera Austral. Cette piste de gravier mythique relie Villa O Higgins à Puerto Montt et serpente étroitement entre d’épaisses forêts et des montagnes escarpées. Amis amateurs de ripio dépêchez vous, de grandes sections sont en passe de disparaître sous le goudron.

Quand la piste est devenue trop mauvaise, d’étranges machines à 6 roues dotées d’une lame tentent de l’améliorer en raclant les cailloux et en retournant la terre. C’est probablement utile pour les voitures, mais à vélo mieux vaut passer avant la machine car après la piste devient meuble et les roues s’enfoncent !

Pas de jus, mes jambes semblent être toujours à Villa O’Higgins à prendre du bon temps dans mon camping et je dois pousser mon vélo dès la première déclivité. Je roule une cinquantaine de kilomètres sans vraiment le moral jusqu’à un refuge. A l’entrée, Angus m’accueille avec un air enjoué « Bienvenue à mon dîner d’anniversaire ! » et me redonne le sourire. Au rythme des Rolling Stones, nous fêtons ce jour dans les quelques mètres carrés du refuge avec force confiture.

Angus est le premier d’une longue liste de cyclistes voyageant vers le sud que je croiserai en chemin. Entre huit et dix cyclistes par jour en moyenne, avec lesquels les sujets de discussions tournent inexorablement autour de la nourriture, du prochain abri, de l’état de la route et de notre itinéraire. Sur ce dernier point, mon niveau d’espagnol étant au niveau des mottes, j’ai bien de la peine à différencier le « d’où viens-tu ? » du « d’où as-tu commencé ? » ou du « où vas-tu ? ». Finalement je me suis dit que le mot « Suisse » répondait correctement à toutes ces questions…

Le ciel est grisâtre, la piste mauvaise. Des camions poussifs transportant du bétail me dépassent péniblement. Un condor trace des rondes au dessus de ma tête. Vêtu de son ensemble noir au col blanc, ce roi des airs à l’allure de de croque-mort semble insensible aux assauts du vent. Après de longues minutes à l’observer, je continue ma route et rejoins l’embarcadère de rio Bravo à partir duquel un ferry gratuit fait la traversée. De l’autre côté du fjord à Puerto Yungay, je passe deux nuits dans un abri en attendant que la pluie cesse. Bien que cette région du Chili soit connue pour ses précipitations abondantes, au delà de 2’000mm par année, je veux éviter rouler sous la pluie sous peine de passer à côté de magnifiques paysages.

Je fais l’aller-retour jusqu’au village étrange et isolé de Caleta Tortel situé à l’embouchure du fleuve Baker. Construit sur le flanc d’une montagne, les maisons sont reliées par des passerelles et escaliers en cyprès dont l’extraction est l’une des principale source de revenu des habitants avec le tourisme. Je plante ma tente au bord du fleuve Baker à quelques mètres de la piste d’aérodrome en compagnie d’une vingtaine d’adolescents britanniques sur le point de partir pour trente jours de kayak aux alentours puis visite le village à pied. J’entre dans un café et me retrouve étrangement dans la cuisine d’une maison où un enfant chiale, une mama cuisine, une fille court après l’enfant. La mama rigole quand je commande un maté et deux empanadas à la viande et me propose un thé. J’insiste et obtiens mon maté mais avec deux empanadas au fromage…Je réclame, la mama rigole et je reçois finalement un seul empanadas à la viande…Une situation similaire s’est également produite à Villa O’Higgins où l’on m’a proposé un thé en lieu et place de mon café, et que j’ai finalement reçu mon café et une part de tarte (délicieuse au passage) !

Les points de ravitaillements sont rares et je suis bien content d’atteindre le « grand village » de Cochrane. La route que je viens d’emprunter est désormais coupée suite à une inondation et les auberges sont pleines de voyageurs attendant l’arrivée ou le départ des bus. Je trouve un moyen de partager une chambre avec Dallas, un cycliste australien arrivé quelques jours auparavant. Pas grand chose à faire à Cochrane si ce n’est que je peux pour la première fois retirer de la monnaie chilienne et faire le plein de nourriture. Tout est vraiment cher ici en Patagonie, je ne sens pas vraiment la différence avec l’Europe.

Depuis Cochrane, chaque virage m’offre une nouvelle vue spectaculaire sur des lacs aux reflets turquoises ou bleu roi flanqués de forêts d’un vert sombre tandis que des sommets enneigés toute l’année s’extirpent parfois des nuages et se détachent à l’horizon. Je roule pour un temps le long du Baker, l’un des fleuve menacé par l’immense et impopulaire projet hydroélectrique de la région de l’Aysen et m’offre un bivouac de choix sur ses hauteurs. Je passe le minuscule village de Puerto Bertrand temporairement fantôme à l’heure de la sieste puis enjambe l’une des barrières à bétail jalonnant la quasi totalité de cette route austral pour bivouaquer au bord du Lac General Carrera situé à cheval entre le Chili et l’Argentine (appelé Lac Bueno Aires de l’autre côté).

Autour de la capitale de la région de l’Aysen, Coyhaique, la route est asphaltée et la région forcément d’avantage développée. La déforestation en masse pour l’élevage de mouton rend le paysage plus terne et je me retrouve à peiner contre le vent dont les forêts denses me protégeaient jusque là. Je passe une petite semaine à Coyhaique pour me reposer et surtout pour effectuer mon activité préférée: glander. Je zone dans cette ville de 50’000 habitants sans que j’y trouve un grand intérêt si ce n’est un vrai supermarché. Depuis Villa O Higgins, toutes échoppes vendent les mêmes pâtes, riz, biscuits, légumes et j’ai besoin de changement !

Je quitte Coyhaique, descends la vallée où coule le fleuve Simpson et me dans des paysages familiers. Un petit air de Suisse centrale se dégage de ces pâturages bordés de hautes montagnes…

Les possibilités de bivouac sont innombrables sur cette route et je deviens de plus en plus exigeant. Désormais mes critères de sélection d’une zone de camping sauvage sont, dans l’ordre de priorité :

 – un accès à l’eau. Pas compliqué sur la Carretera Austral

– une zone plus ou moins plane pour la tente

– du bois sec à proximité pour un feu. Les lits asséchés des rivières en regorgent généralement

– à l’abri des regards, car tout ou presque est propriété privée par ici mais globalement tout le monde s’en fout de toi…

– l’est et l’ouest dégagés pour un maximum de soleil matin et soir

 Quand je pense que seule la discrétion était important en Europe !

Lors d’un bivouac au bord du fleuve Maniguales après avoir enjambé une énième barrière, le probable propriétaire des lieux débarque avec son 4×4 et sa petite famille. Le gars s’approche quelques instants après et s’applique à me baragouiner quelque chose dans son espagnol le plus incompréhensible. Le seul mot que je capte est « comment ». En train de régler son compte à ma platrée de riz-sauce-tomate, je déduis hâtivement qu’il s’enquiert de la qualité de mon repas et lui réponds dans mon meilleur espagnol « Très bien merci ! ». A la manière dont son regard me juge comme un immense abruti et à son soupir en s’éloignant, je me dit qu’il m’a surement demandé comment j’étais entré…

Je fais le détour jusqu’au village de Puerto Cisnes au bord de l’océan, sans savoir à quoi m’attendre. Je passerais finalement trois jours dans un camping gratuit à lire, à observer les étoiles et à ne rien faire…

La portion de route entre la Junta et Villa Santa Lucia est en travaux sur une soixantaine de kilomètres et j’arrive en plein pendant l’étape « on met des cailloux sur la route et on avise ». Certaines portions se confondent avec le lit d’une rivière; des pierres grosses comme le poings et une couche molle de plusieurs centimètres de gravier m’empêche parfois tout simplement de pédaler. L’eau est plus rare car tous les cours d’eau sont temporairement boueux et le va-et-vient des camions me couvrent de poussière de la tête aux pieds. Finalement je me motive et roule cette section en un jour et m’offre un jardin d’une maison familiale transformée en camping. Des enfants m’aident à monter ma tente…Je trouve cela adorable pour un moment mais sitôt le travail accompli, tous ces petits monstres profitent de ma non-autorité pour jouer à cache-cache. Deux portes (qu’ils n’utilisent pas pour entrer dans la tente), quatre enfants et un Maxime qui ne sait plus où donner de la tête; je vous laisse imaginer la scène !

Je continue au nord direction Chaiten. La route est splendide et à moitié asphaltée. Sur place, je découvre une ville en pleine reconstruction. Avant le 2 mai 2008, personne ne présumait que la haute colline surplombant la ville abritait un volcan actif. L’éruption soudaine a rasé la ville et des cendres ont été retrouvées jusqu’à Bueno Aires.

Quelques kilomètres plus au nord, la plage de sable de noir de Caleta Santa Barbara est à ce que l’ont dit un point de vue idéal pour observer des dauphins. Pas l’ombre d’une dorsale  à l’horizon mais un quatuor d’otaries me font le show à quelques mètres de la plage.

Je rebrousse chemin pour traverser la frontière à Futaleufu et retrouve l’Argentine !

Commentaires 7

  1. Thomas

    Tes critères ont évolué, mis à part pour la discrétion, notre petit bout de forêt à Morrens aurait pas convenu ! Enfin sauf peut-être pour l’accès à l’eau si la pluie compte…

    Sinon j’aime bien la suite de photos: une vache en excellent état dans les broussailles, suivie du matériel du repas prêt à servir sur une table, et enfin ta monture équipée d’un crâne de vache ! C’est voulu 😀 ?

    Encore une fois, des paysages magnifiques qui donnent vachement (!) envie de tout plaquer pour faire pareil.

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  2. Giorgio

    Toujours un plaisir de te lire.
    Je suis content que tout se passe bien et que l’Amerique ne deçois pas tes attente 🙂
    Continue a pedaler et surtout a glander bien 😛

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      Maxime

      Hey Gio !

      merci de ton message. Cette partie du monde est si immense et variée que je crois qu’il y en a pour tous les goûts !

      Bonne route à toi aussi

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